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Investissements étrangers en France
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Investissements étrangers en France
July 23, 2020
Dans le contexte de crise sanitaire liée à la Covid-19 qui a fragilisé et continue de fragiliser une grande partie des entreprises, de nombreux Etats ont décidé de renforcer leur réglementation sur le contrôle des investissements étrangers. Ce renforcement s’inscrit dans une tendance générale initiée avant le début de la pandémie.
En Europe, le renforcement des dispositifs de contrôle des investissements étrangers a ainsi abouti à l’adoption le 19 mars 2019 du règlement (UE) 2019/452 établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers dans l’Union européenne (le « Règlement IDE »), entré en vigueur le 10 avril 2019 et applicable à compter du 11 octobre 2020. Le Règlement IDE invite les Etats membres de l’Union européenne (« UE ») à protéger les secteurs d’activité stratégiques et leurs infrastructures critiques en se dotant, pour ceux qui ne disposent pas encore d’un tel mécanisme de filtrage, d’un dispositif de contrôle des investissements étrangers ainsi que, plus généralement, en coopérant et partageant certaines informations relatives aux investissements étrangers. La Commission européenne pourra adresser des avis pour recommander des actions spécifiques à un Etat membre, en particulier lorsqu’un investissement risque d’affecter des projets ou programmes présentant un intérêt pour l’UE.
En France plus particulièrement, le dispositif de contrôle des investissements étrangers en France (« IEF »), qui soumet certains investissements étrangers à une procédure d’autorisation préalable par le Ministre de l’Economie et des Finances (le « MEF »), a fait l’objet de plusieurs réformes visant à améliorer les moyens de préserver les intérêts stratégiques du pays tout en maintenant l’attractivité de la France pour les investisseurs étrangers. La dernière grande réforme de ce dispositif est issue de la Loi PACTE du 22 mai 2019[1], complétée par un décret et un arrêté en date du 31 décembre 2019[2] dont les dispositions sont applicables aux demandes et déclarations présentées à compter du 1er avril 2020.
Cette réforme récente est apparue insuffisante dans le contexte de la crise sanitaire et le Ministre de l’Economie et des Finances a annoncé le 29 avril 2020 une nouvelle adaptation de la procédure de contrôle des IEF, suivant ainsi les orientations publiées par la Commission européenne le 25 mars 2020[3]. Ces nouvelles dispositions, issues d’un arrêté en date du 27 avril 2020 ainsi que d’un décret et d’un arrêté en date du 22 juillet 2020[4], comportent à la fois des mesures pérennes et des mesures temporaires visant à protéger les entreprises françaises les plus sensibles dans un tel contexte.
EXTENSION DU CHAMP D’APPLICATION DU CONTRÔLE DES IEF
Secteurs d’activité protégés :
- Les activités relevant des secteurs protégés sont désormais regroupées au sein d’un même article. La liste de ces activités est identique, qu’il s’agisse d’un investissement effectué par un investisseur en provenance d’un pays tiers ou bien d’un Etat membre de l’UE.
- Le contrôle des IEF porte ainsi sur les activités relevant notamment des secteurs de l'énergie, de l'eau, des télécommunications, des transports, de la santé, de l’aérospatial et de la protection civile ainsi que sur les activités d’hébergement de certaines données sensibles. Sont également visées par le dispositif de contrôle les activités de recherche et développement portant sur des technologies critiques (cybersécurité, intelligence artificielle, robotique, fabrication additive, semi-conducteurs).
- Depuis 2020, les activités dans les secteurs de la presse écrite et numérique et de la sécurité alimentaire sont couvertes par le dispositif. La liste des technologies critiques a été étendue pour inclure le stockage d’énergie et les technologies quantiques ainsi que, depuis le 27 avril 2020, les biotechnologies.
- Plus généralement, la Commission européenne a indiqué qu’une attention particulière sera accordée aux investissements par des personnes tierces à l’UE et susceptibles d’affecter les projets présentant un intérêt pour l’UE, en ce compris les investissements réalisés dans des entreprises ayant bénéficié d’un financement au titre du programme de recherche et d’innovation européen « Horizon 2020 » et participant à des projets européens liés au secteur de la santé, notamment ceux en réponse à l’épidémie de Covid-19[5]. Conformément aux dispositions du Règlement IDE, le MEF devra tenir compte de tout avis qui pourra lui être adressé par la Commission européenne relatif à un investissement étranger et, s’il ne suit pas cet avis, devra fournir des explications à la Commission.
Définition d’investisseur étranger :
- La définition d’investisseur étranger est désormais centralisée au sein d’un article et comprend :
- Toute personne physique de nationalité étrangère ;
- Toute personne physique de nationalité française qui n'est pas domiciliée fiscalement en France ;
- Toute entité de droit étranger ; et
- Toute entité de droit français contrôlée par des personnes ou entités mentionnées ci-avant.
- La notion de chaîne de contrôle est introduite pour qualifier l’ensemble formé par un investisseur et les personnes ou entités qui le contrôlent. Toutes les personnes et entités appartenant à une même chaîne de contrôle sont considérées comme des investisseurs au sens de la réglementation sur les IEF.
- Le contrôle d’un investisseur est apprécié au regard du droit des sociétés[6] (contrôle direct ou indirect, de droit ou de fait, exclusif ou conjoint). Toutefois, si aucun contrôle n’a pu être établi sur ce fondement, le contrôle de l’investisseur est alors apprécié au sens du droit des concentrations[7], qui recouvre une acception plus large en retenant le critère de l’exercice d’une influence déterminante.
Opérations contrôlées :
- Les opérations d’investissement visées par la réglementation sur les IEF sont (i) l’acquisition du contrôle[8] d’une entité de droit français et (ii) l’acquisition de tout ou partie d’une branche d’activité d’une entité de droit français.
- Pour les investisseurs « non européens »[9], le franchissement direct ou indirect, seul ou de concert, d’un seuil de participation dans une entité de droit français est également soumis au contrôle des IEF.
- Depuis le 1er avril 2020, le seuil de 25% des droits de vote a remplacé le seuil initial de 33,33% du capital ou des droits de vote.
- Du 7 août 2020[10] jusqu’au 31 décembre 2020, le seuil de 25% est temporairement abaissé à 10% des droits de vote pour les investissements dans les sociétés cotées sur un marché réglementé (voir Mesures temporaires).
SIMPLIFICATION DE LA PROCEDURE D’AUTORISATION DES IEF
Demande d’avis :
L’entreprise française ou l’investisseur étranger (avec l’accord de l’entreprise française) peut, comme sous la réglementation antérieure, saisir en amont le MEF d’une demande d’avis aux fins de savoir si tout ou partie de l’activité cible est soumise à la réglementation sur les IEF. Le MEF dispose alors d’un délai de deux mois pour rendre son avis. Lorsque l’avis est demandé par l’investisseur, l’entreprise française se voit adresser une copie de l’avis rendu.
Procédure d’autorisation préalable en deux phases :
- Contrairement à la demande d’avis, la demande d’autorisation d’un IEF ne peut être déposée que par l’investisseur ou, si l’investissement concerne plusieurs investisseurs appartenant à une même chaîne de contrôle, par l’un d’entre eux pour le compte de tous les membres de ladite chaîne.
- La procédure d’autorisation, autrefois d’une durée de deux mois, est désormais constituée de deux phases :
- Une 1ère phase rapide de 30 jours ouvrés pour toutes les demandes d’autorisation : à l’issue de ce délai, le MEF indique à l’investisseur que l’investissement (i) ne relève pas de la procédure d’autorisation, (ii) est autorisé sans condition ou (iii) est soumis à un examen complémentaire.
- Une 2ème phase complémentaire de 45 jours ouvrés pour les dossiers les plus complexes : à l’issue de ce délai, le MEF (i) autorise l’investissement, le cas échéant sous conditions, ou (ii) le refuse.
- Le silence du MEF à l’issue de la 1ère ou de la 2ème phase vaut désormais rejet de la demande d’autorisation et non plus autorisation réputée acquise comme sous la réglementation antérieure.
- La réalisation d’un investissement autorisé par le MEF donne lieu à déclaration dans un délai de deux mois.
Cas de dispense :
- La dispense de demande d’autorisation préalable est maintenue par le nouveau régime dans les deux cas suivants : (i) les investissements intra-groupe et (ii) lorsque l’investisseur franchit le seuil de 25% des droits de vote d’une entité dont il a antérieurement acquis le contrôle en vertu d’une autorisation du MEF.
- Un troisième cas de dispense est créé pour viser la situation dans laquelle l’investisseur acquiert le contrôle d’une entité dans laquelle il a antérieurement franchi le seuil de participation de 25% des droits de vote en vertu d’une autorisation du MEF. Cette dispense est toutefois soumise à l’envoi d’une notification préalable au MEF et à l’absence d’opposition de ce dernier à l’expiration d’un délai de 30 jours suivant ladite notification.
- Aucune dispense n’est applicable si l’investissement a pour effet soit d’empêcher un investisseur de respecter les conditions dont il est responsable en vertu d’une autorisation délivrée antérieurement par le MEF, soit de transférer à l’étranger tout ou partie d’une branche d’activité sujette au contrôle des IEF.
Informations et documents requis :
La liste des informations et documents devant accompagner la demande d’autorisation est complétée par la nouvelle réglementation, tant pour l’investisseur que l’entité objet de l’investissement. La demande doit notamment indiquer si l’entité cible est impliquée dans des projets présentant un intérêt pour l’UE ou a bénéficié d’un soutien financier de l’UE. S’agissant de l’investisseur, tout lien capitalistique ou appui financier au cours des cinq dernières années de la part d’un Etat tiers à l’UE doit être mentionné. A noter que la demande doit indiquer, lorsque l’investisseur ou l’un des investisseurs est un fonds d’investissement, l’identité du gestionnaire du fonds et des personnes contrôlant ledit gestionnaire, et non l’identité de tous les investisseurs du fonds[11].
MESURES TEMPORAIRES : ABAISSEMENT DU SEUIL DE PARTICIPATION A 10% DES DROITS DE VOTE
En réponse à la crise sanitaire, le gouvernement français a décidé d’abaisser temporairement de 25% à 10% des droits de vote le seuil de participation soumis à une autorisation préalable, à compter du 7 août 2020 jusqu’au 31 décembre 2020[12].
- Ces mesures sont applicables uniquement aux investisseurs « non européens » et pour des investissements effectués dans des sociétés cotées dont les actions sont admises sur un marché réglementé (Euronext). Les sociétés dont les actions sont admises sur un système multilatéral de négociation (Euronext Growth) ne sont donc pas visées par ces mesures.
- Le contrôle de ces investissements s’effectue selon une procédure ad hoc et allégée : l’investisseur doit notifier l’opération au MEF pour bénéficier d’une dispense d’autorisation de l’opération. La notification porte sur un nombre réduit d’informations. Le MEF dispose d’un délai de 10 jours ouvrés pour s’opposer à la dispense d’autorisation. Le silence du MEF à l’issue de ce délai emporte autorisation de l’opération.
- Si le MEF s’oppose à la dispense d’autorisation dans le délai imparti, l’investisseur étranger peut déposer une demande d’autorisation de l’opération selon la procédure de droit commun, afin que l’opération soit soumise à un examen plus approfondi du MEF. L’examen approfondi pourra conduire le MEF à ne pas autoriser l’investisseur étranger à détenir plus de 10% des droits de vote de l’entité française.
RENFORCEMENT DES MESURES DE SANCTION
La Loi PACTE a renforcé les pouvoirs du MEF afin de mieux prévenir et sanctionner les manquements des investisseurs. Ainsi, en cas d’investissement réalisé sans autorisation préalable, le MEF peut désormais prononcer la suspension des droits de vote attachés à la fraction des actions dont la détention aurait dû faire l’objet d’une autorisation préalable ou encore interdire ou limiter la distribution de dividendes attachés auxdites actions. Il peut également désigner un mandataire chargé de veiller à la protection des intérêts nationaux au sein de l’entreprise cible.
Le montant des sanctions pécuniaires est également augmenté et peut désormais s’élever au maximum à la plus élevée des sommes suivantes : le double du montant de l’investissement irrégulier, 10% du chiffre d’affaires annuels hors taxes de l’entreprise cible, 5 millions d’euros pour un investisseur personne morale et 1 million d’euros pour un investisseur personne physique.
[1] LOI n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises dite « Loi PACTE ».
[2] Décret n° 2019-1590 du 31 décembre 2019 relatif aux investissements étrangers en France ; Arrêté du 31 décembre 2019 relatif aux investissements étrangers en France.
[3] Communication 2020/C 99 I/01 de la Commission européenne du 25 mars 2020 : Orientations à l’intention des Etats membres concernant les investissements directs étrangers et la libre circulation des capitaux provenant de pays tiers ainsi que la protection des actifs stratégiques européens, dans la perspective de l’application du règlement (UE) 2019/452 (règlement sur le filtrage des IDE).
[4] Arrêté du 27 avril 2020 relatif aux investissements étrangers en France ; Décret n° 2020-892 du 22 juillet 2020 et arrêté du 22 juillet 2020 relatifs à l’abaissement temporaire du seuil de contrôle des investissements étrangers dans les sociétés françaises dont les actions aux admises aux négociations sur un marché réglementé.
[5] Communication 2020/C 99 I/01 de la Commission européenne en date du 25 mars 2020.
[6] Sur le fondement de l’article L. 233-3 du Code de commerce.
[7] Sur le fondement de l’article L. 430-1 III du Code de commerce.
[8] Au sens de l’article L. 233-3 du Code de commerce.
[9] Tout investisseur autre que (i) une personne physique possédant la nationalité d’un Etat membre de l’UE ou d’un Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen ayant conclu une convention d’assistance administrative avec la France en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscale et domiciliée dans l’un de ces Etats ou (ii) une entité dont l’ensemble des membres de la chaîne de contrôle, au sens de l’article R. 151-1 II du Code monétaire et financier, relèvent du droit de l’un de ces mêmes Etats ou en possèdent la nationalité et y sont domiciliés.
[10] Les dispositions du décret n° 2020-892 ne s’appliquent pas aux investissements réalisés dans les 10 jours ouvrés suivant sa date de publication.
[11] Analyse confirmée par le Conseil d’Etat dans une décision du 3 avril 2020 (n° 422580) rendue sous la réglementation antérieure.
[12] Décret n° 2020-892 du 22 juillet 2020 et arrêté du 22 juillet 2020.